Sally GABORI

Peindre sa terre natale
Sally Gabori commence à peindre en 2005, à plus de 80 ans. Ses œuvres, en apparence abstraites, sont autant des références topographiques que des récits ayant une signification profonde pour elle, sa famille et son peuple. Elles célèbrent à la fois différents lieux de son île natale, que Sally Gabori n’a pas revue depuis près de quarante ans, et les personnes de sa famille qui y sont liées par leurs noms. Les lieux qu’elle peint sont aussi associés aux luttes politiques pour la reconnaissance des droits des Kaiadilt sur leurs terres.
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Non héritées d’une tradition iconographique kaiadilt, les peintures de Sally Gabori sont avant tout le témoignage d’un imaginaire à l’horizon illimité, d’une impressionnante liberté formelle, nourrie par les variations infinies de lumière sur le paysage que suscite le climat violemment contrasté du golfe de Carpentarie. Combinaison de couleurs, jeu de formes, superposition de surfaces, variation de formats : pendant les neuf années de son activité artistique, Sally Gabori peint près de 2 000 toiles explorant comme en accéléré les multiples ressources de l’expression picturale.
À ses débuts, Sally Gabori travaille sur des toiles de petits formats, qu’elle exécute avec un pinceau fin et des couleurs non diluées. À partir de 2007, elle change d’échelle pour réaliser des toiles monumentales de 6 mètres de long, conservant toute la vigueur de son geste et de son audace dans l’emploi de la couleur. Cette même année, inspirée par son premier retour sur sa terre natale, Sally Gabori mène un effort considérable pour cartographier sur la toile de nombreux lieux qui lui sont chers. Elle réalise trois peintures collaboratives de 6 mètres de long avec ses sœurs et nièces, toutes nées sur l’île Bentinck avant l’exode. Vers la fin de sa carrière, elle peint également d’importantes œuvres avec ses filles Amanda et Elsie, et encourage ses autres filles, Dorothy et Helena, à entrer au centre d’art de l’île Mornington.
Après sa disparition en 2015, la Queensland Art Gallery |Gallery of Modern Art à Brisbane puis la National Gallery of Victoria à Melbourne lui consacrent une rétrospective majeure en 2016 et en 2017. Ses œuvres sont aujourd’hui présentes dans les plus importantes collections publiques australiennes.
Kaiadilt, une vie en exil
Mirdidingkingathi Juwarnda Sally Gabori est née vers 1924 sur l’île Bentinck, dans le golfe de Carpentarie, dans le nord de l’Australie. Elle appartient au peuple kaiadilt et parle la langue kayaldid. Son nom, Mirdidingkingathi Juwarnda, est issu de la tradition kaiadilt qui veut que chacun soit nommé en fonction de son lieu de naissance et de son ancêtre totémique. Ainsi, Mirdidingkingathi indique que Sally Gabori est née à Mirdidingki, une petite crique située au sud de l’île Bentinck, et que son « totem de conception » est juwarnda, le dauphin.
Largement isolés, avec une population atteignant 125 habitants en 1944, les Kaiadilt sont le dernier peuple côtier de l’Australie aborigène à être entré durablement en contact avec les colons européens. Sally Gabori et sa famille ont longtemps mené une vie traditionnelle, reposant presque entièrement sur les ressources naturelles de leur île. Comme la plupart des femmes, Sally Gabori était chargée de la pêche, de l’entretien des pièges à poissons en pierre qui jalonnent les rivages de l’île et du tressage de paniers en fibres naturelles.
À partir du début des années 1940, des missionnaires presbytériens installés depuis 1919 sur l’île Mornington, au nord de l’île Bentinck, tentent de convaincre les Kaiadilt de rejoindre leur mission, en vain. Mais en 1948, à la suite d’un cyclone et d’un raz-de-marée qui inondent une grande partie de leurs terres et contaminent les réserves d’eau douce, les 63 derniers résidents kaiadilt, dont Sally Gabori et l’ensemble de sa famille, sont évacués vers la mission presbytérienne de l’île Mornington. Leur exil, qu’ils pensaient de courte durée, s’étendra finalement sur plusieurs décennies. À leur arrivée à Mornington, les Kaiadilt sont logés dans des campements, sur la plage, et les enfants séparés de leurs parents et installés dans des dortoirs de la mission, avec interdiction de parler leur langue maternelle, rompant ainsi tous liens avec leur culture et leurs traditions.
À partir des années 1990, après des années de lutte pour la reconnaissance des droits territoriaux aborigènes, la législation australienne reconnaît les droits des Kaiadilt sur leur terre et un petit ensemble d’habitations, ou outstation, est installé sur l’île Bentinck, à Nyinyilki, pour permettre aux Kaiadilt qui le souhaitent – dont Sally Gabori – de revoir leur île natale et d’y séjourner temporairement.
